
Arizona,
sur la route vers Page, la Nation Navajo
Sans quitter la vaste région du Grand Canyon, la route 64 se dirige vers l'est et le carrefour avec la route 89.

Depuis le plateau Colorado à 2200 mètres, la route dévale une longue pente vers un autre plateau, 700 mètres plus bas, que tranchent les méandres étroits et profonds d'un autre long canyon.
C'est celui de la rivière Little Colorado, qui rejoint son grand frère, le fleuve Colorado, 30 km à vol d'oiseau vers le nord, après avoir buté depuis l'est sud-est sur le même plateau Colorado.

La Nation Navajo
Le confluent entre les deux lits, celui des eaux rouges du Colorado et des eaux que l'on dit bleues du Petit Colorado est un site sacré pour les Navajos.
Et où qu’on aille alors, les employés et la population appartiennent presque exclusivement à cette ancienne nation indienne.
Car voici le grand territoire de la Nation Navajo qui empiète sur les quatre Etats de l'Utah au nord-ouest, très peu sur celui du Colorado au nord-est, principalement sur l'Arizona au sud-ouest, et celui de Nouveau Mexique au sud-est. Sa surface de 69 000 km² est à peu près celui de notre Région "Auvergne-Rhône-Alpes" par exemple.
La délimitation ancestrale est bornée par les lieux sacrés que sont "Hesperus Peak" au centre nord, "Blanca Peak" au nord-est, "San Fransisco Peaks" au sud-ouest et "Mount Taylor" au sud-est.
- bien plus tard, à partir de 500, leurs descendants sédentarisés, que les Navajos nommeront les Anciens, les "Anasazis", habitent des constructions cubiques semi-troglodytes au pied d'impressionnantes murailles naturelles.
- ils parlent la langue "uto-aztèque".
- un millénaire plus tard, dès 1540, leurs descendants seront nommés "Pueblos" par les Espagnols arrivés là. C'est de cette lignée que provient entre autres la grande tribu des Hopis ("le peuple de la paix").
- le Navajos et les Apaches sont venus beaucoup plus récemment (mais quand?) du Canada vers cette même région.
- ils parlent la langue "athabascane" et sont nomades.
- des "Anasazis", les Navajos ont adopté les principes d'une société matrilinéaire (voir plus bas), mais aussi la manière de cultiver, d'élever le bétail, de développer l'artisanat.
- les Hopis les nomment gentiment "Tasavuhta" (ceux qui fracassent les crânes).
- les Navajos volent bétail et récoltes aux Hopis ; les conflits entre les deux peuples (ceux qui fracassent les crânes et le peuple de la paix..., belle antinomie) sont fréquents, jusqu'au 20ème siècle.
- les tensions entre Navajo et Hopis, après en 1868 l'attribution des territoires de réserve Navajo avec en son sein l'enclave Hopi ne s'apaisent qu'en 2009.

Etymologie :
Le nom "navajo" ou "navaho" est la transcription phonétique faite par les Espagnols occupant la région dès le 17ème siècle du mot "navahu", qui signifiait en langue "pueblo" (encore un héritage hispanophone), "champ près d'un ruisseau" ou "grands champs".
Mais le nom originel que se donnent les Navajos est "Diné", "le peuple".
Avec aujourd'hui 175 000 personnes sur ce territoire et plus de 300 000 personnes pour l'ensemble des USA, c'est la 2ème nation amérindienne après les Cherokees. En croissance nette, après les décennies qui la décimèrent.
Mais d'où viennent donc ces populations indiennes d'ici?
Le territoire de la Nation Navajo actuel, avec son enclave Hopi phagocytée à l'ouest est un peu un condensé de l'histoire amérindienne de cette région.
A très grands traits :
- il y a 12 000 ans, viennent d'Asie par le détroit de Berhing des chasseurs mongols qui s'installent ici et plus au sud.
Historique (trop) sommaire de l'époque moderne (après les tentatives de totale soumission par les Espagnols, les Mexicains, les Américains au 19ème) :
Beaucoup disent que la Nation Navajo naît de fait en 1950, après bien des aléas. Pourtant, en 1953, avec la loi de "terminaison", le gouvernement fédéral veut assimiler les Indiens, liquider le statut particulier des nations indiennes
Puis en 1962, en même temps que Kennedy (en 1961) annule cette loi, les décisions tribales navajos sont codifiées selon un format fédéral. "Au sens large, ce code tribal codifié fut la première Constitution Navajo...". Mais le statut le plus avancé de la Nation Navajo naît et se développe à partir de décembre 1989, avec la séparation des trois pouvoirs.
Bien sûr, la prééminence de l'Etat Fédéral subsiste, et la relation entre Gouvernement Navajo et Département d'Etat à l'Intérieur US est forte ; les partenariats avec les Etats-hôtes de la Nation Navajo sont plus complexes, moins étroits, plus sujets à affrontements.
Organisation, culture et spiritualité :
Les Navajos se répartissent en plus de 50 clans, dans une structure dite « matrilinéaire », c'est à dire transmise par les femmes. Le lien du mariage à l’intérieur du clan est un véritable tabou : les partenaires doivent appartenir à deux clans différents. L'époux vit dans la famille de sa femme et le patrimoine appartient à cette dernière, restant dans sa famille. La femme a notamment le pouvoir de répudier son époux.
Dans le statut de « réserve », c’est la police tribale navajo (et non le shérif du conté) qui traite les délits et infractions, les crimes restant du ressort fédéral (FBI).
Dans cette région semi-désertiques, que certains disent l'une des plus inhospitalières du monde, le climat est très rigoureux avec des extremum de -20°C et de +45°C.
Dans ces conditions de vie d'une extrême rudesse, cette aridité, et la rareté des ressources, il fallait d'abord survivre.
La spiritualité navajos, sa culture s'intègrent dans cet environnement hostile et inévitable, dont il faut s'accommoder et tirer partie, sans chercher vainement à le combattre.
Le fondement est le culte de la nature et la nécessaire harmonie avec celle-ci, qui sous le terme "d’hozho" inclut aussi santé, beauté, ordre….
Rompue, c’est l’origine de tous les maux : maladie, catastrophes, méchanceté…
Economie et ressources :
L'économie est de subsistance, avec les troupeaux de moutons, chèvres, un peu de bovins, les chevaux. Ces derniers, surtout les mustangs, descendent des chevaux apportés par les espagnols puis retournés à l'état sauvage au terme d'adaptations remarquable au climat et au pays.
Aujourd'hui, certains emplois sont plus ou moins réservés, notamment dans le tourisme (voir Monument Valley).
Le volet artisanal est aussi très développé, de qualité, destiné principalement au tourisme.
Outre l'ouverture de maisons de jeux autorisée dès 1980, les gisements naturels (pétrole, minéraux,…) ont enrichi l’économie navajo, mais suscitent toujours des convoitises de l’Etat fédéral et des Etats hôtes, avec des litiges récurrents et des compensations financières (554 M$ versés par les USA en 2014) que le Gouvernement US préfèrerait à des rentes.
Etonnant statut de cette nation dans la nation, qui tente de sauvegarder l'identité et la culture ancestrale Diné, avec d'autant plus de pugnacité que sa population croît significativement.


Quelques miles plus à l'est, la route 64 passe dans le "Navajo tribal Park", le Parc de la Nation Navajo, dans l'Etat de l'Arizona.
De loin en loin au bord des routes sont aménagés des parkings de « point de vue » (« scenic overview » ou « scenic turnout »).
De petites cabanes de bois dont le toit de toile vole au vent abritent d’un soleil accablant (en tout cas pour les touristes passant, bien moins pour les navajos) quelques vendeurs de produits locaux, bimbeloterie, « jewelries », reproductions d’arcs, de flèches, d’amulettes de toutes sortes, mais aussi, ce qui semble le plus authentique, de grands pans tissés à la manière locale.

Le très long serpent du Petit Colorado aux infinies sinuosités a creusé les impressionnantes falaises verticales de son canyon. Hautes de 450 mètres, striées régulièrement, elles toisent au fond la rivière, qui là est manifestement ocre (effet de saison) et non bleue.
Souvent, accolées à la falaise et s'en détachant, des tours se dessinent, aux formes presque régulières, qui semblent sur le point de basculer, semblables aux gratte-ciel d'une mégapole en ruine post-apocalyptique.
Le plateau taillé au fil à plomb, laisse une faille sombre de 250 à 300 mètres de large.
Pendant des dizaines de millliers d'années, racontent les panneaux d'information, à la fonte des neiges et lors des puissantes tempêtes d'été, la furie des flots a creusé et creuse encore la roche comme un colossal scalpel.



Dans le grand et presque vide plateau-parking, des panneaux d'information alertent les passants sur les précautions à avoir envers les reptiles de toutes sortes, serpents à sonnettes, lézards, araignées, mille-pattes, scorpions... On ne soulèvera donc aucune roche plate. Point d'animal, et Marlène s'en moque.


La 64 descend encore, et atteint le carrefour avec la route 89 à prendre vers le nord.
Un coin perdu, puis une de ces rares stations service où nous ne manquons pas de faire un demi-plein... pour 20$, qui coûterait le double chez nous.
Aussi rares et espacées que le sont les hameaux.
C'est aussi notre première rencontre avec l'un de ces énormes camping-cars, de fait un autobus aménagé, qui traîne en remorque la voiture d'appoint, ici un puissant 4x4. Probablement une location?
On trouve aussi ici un assez édifiant et pédagogique petit musée sur l'histoire et la culture locale, notamment à propos du "Trading Post", qui contribua à l'histoire de la conquête de l'ouest.
Le village de Cameron juste au nord, où la 89 traverse le Little Colorado rassemble à peine quelques maisons espacées.
Au long de cette route vers le nord, des formations gélogiques érodées jouent la surenchère des couleurs, des strates et des galbes.





Dans l'intervalle semi-désertique entre la route et le pied de la montagne à l'est, quelques habitations navajos, des maisons de bois d'apparence moderne, toutes sur courts pilotis, et de vastes et maigres prairies où s'ébattent des chevaux.
Comme on en verra au pied des monts, presque jusqu'à Page.


Puis la route monte en balcon à travers une petite chaîne montagneuse dont la crête massive s'élance vers un ciel intense et brûlant. On monte de 1300 à 1740 mètres.


L'immense plateau à nos pieds se tranche de la sombre saignée du canyon du Little Colorado. Vers l'horizon à gauche, c'est le "north rim" du Grand Canyon.
